© Hans Hinz
« LA NAISSANCE DE L’ART »
Georges
Bataille est celui qui a porté à son plus haut degré d’intensité la
fascination que suscitent les œuvres de la Préhistoire. Il l’a condensée
en une formule promise à une fortune considérable, qui exprimait bien
la pensée de son temps, « la naissance de l’art. »1
Exceptionnelle, l’éclosion des tracés figuratifs l’était en effet au
même titre que le langage dont l’existence doit être supposée, même si
nous en ignorons le degré, alors, de développement. C’était un saut dans
la pensée, une étape majeure dans l’invention d’un outil conceptuel
fondamental, la représentation graphique, qu’attestent suffisamment le
destin universel des images, l’infinie diversité de leurs usages en
toute époque comme en toute culture, et leurs métamorphoses continues,
dont le cinéma ou la 3D sont les derniers avatars.
Mais l’aura de cette naissance est
aussi le fruit d’une double exception. D’abord, des trois modes
fondamentaux de figuration que sont le dessin, la danse et le récit (et
avec lui, le langage articulé), le premier est le seul dont nous soit
parvenu un témoignage si ancien. Nous ne savons rien de l’émergence des
langues, bien antérieures à leurs premières codifications graphiques au
4e millénaire avant notre ère. Et que dire des danses qui toujours
s’effacent, sitôt achevé le moment de leur geste ? Cette solitude
archéologique, renforcée par l’absence de toute peinture corporelle
connue mais dont la pratique a tout lieu d’être supposée elle aussi, a
accentué la dimension exceptionnelle des tracés en concentrant sur eux
l’éclat, toujours fabuleux, de l’origine. Ensuite, ils ont été
distingués sous le nom d’« art » des autres manifestations de l’activité
humaine, comme la fabrique d’outils, et ils furent avant tout rapportés
à ce que nos concepts vagues appellent une pensée « symbolique » ou
« religieuse », selon une intuition certes légitime mais qui se faisait
au détriment de la dimension gestuelle et technique où s’enracinait le
lent, le patient processus ayant conduit à leur émergence. À peine
étaient-elles connues que ces premières peintures étaient aussitôt
fixées dans les codes d’une pensée familière qui évacuait l’étrangeté de
leur surgissement. Longtemps après que Pascal et Giordano Bruno eurent
pressenti l’infinité des mondes qui nous environnaient, et peu après que
Darwin eut commencé à nous révéler l’histoire antédiluvienne où notre
propre espèce plongeait ses racines, ces peintures venaient moins
éclairer l’insondable abîme de temps où s’inscrivait leur genèse,
qu’interposer entre lui et nous le socle rassurant d’une apparition à
laquelle nous donnions nos propres traits. Même lointaine et comme tout
juste débourbée de la terre, la naissance de cet homme primitif jetait
une nappe pudique d’humanité au-dessus d’un immense ossuaire d’espèces
fossiles. Et ce n’était pas n’importe quelle naissance, puisqu’il
s’agissait, avec l’art, de l’émergence de notre intelligence sensible la
plus chargée de prestige, celle où nous pouvions distinguer sans effroi
notre propre visage émergeant des ténèbres. […]
1. Georges Bataille, La Naissance de l’art, Skira, 1955.
1. Georges Bataille, La Naissance de l’art, Skira, 1955.
Renaud Ego, « La naissance de l’art » in Le Geste du regard, L’Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2017, pp. 15-16-17.
Pezzo tratto da http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2017/09/renaud-ego-la-naissance-de-lart.html
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