25 settembre 2017

G. BATAILLE SULLA NASCITA DELL'ARTE

                                                       Georges Bataille dans la grotte de Lascaux en 1954
                                                                                            © Hans Hinz


« LA NAISSANCE DE L’ART »




Georges Bataille est celui qui a porté à son plus haut degré d’intensité la fascination que suscitent les œuvres de la Préhistoire. Il l’a condensée en une formule promise à une fortune considérable, qui exprimait bien la pensée de son temps, « la naissance de l’art. »1 Exceptionnelle, l’éclosion des tracés figuratifs l’était en effet au même titre que le langage dont l’existence doit être supposée, même si nous en ignorons le degré, alors, de développement. C’était un saut dans la pensée, une étape majeure dans l’invention d’un outil conceptuel fondamental, la représentation graphique, qu’attestent suffisamment le destin universel des images, l’infinie diversité de leurs usages en toute époque comme en toute culture, et leurs métamorphoses continues, dont le cinéma ou la 3D sont les derniers avatars.
Mais l’aura de cette naissance est aussi le fruit d’une double exception. D’abord, des trois modes fondamentaux de figuration que sont le dessin, la danse et le récit (et avec lui, le langage articulé), le premier est le seul dont nous soit parvenu un témoignage si ancien. Nous ne savons rien de l’émergence des langues, bien antérieures à leurs premières codifications graphiques au 4e millénaire avant notre ère. Et que dire des danses qui toujours s’effacent, sitôt achevé le moment de leur geste ? Cette solitude archéologique, renforcée par l’absence de toute peinture corporelle connue mais dont la pratique a tout lieu d’être supposée elle aussi, a accentué la dimension exceptionnelle des tracés en concentrant sur eux l’éclat, toujours fabuleux, de l’origine. Ensuite, ils ont été distingués sous le nom d’« art » des autres manifestations de l’activité humaine, comme la fabrique d’outils, et ils furent avant tout rapportés à ce que nos concepts vagues appellent une pensée « symbolique » ou « religieuse », selon une intuition certes légitime mais qui se faisait au détriment de la dimension gestuelle et technique où s’enracinait le lent, le patient processus ayant conduit à leur émergence. À peine étaient-elles connues que ces premières peintures étaient aussitôt fixées dans les codes d’une pensée familière qui évacuait l’étrangeté de leur surgissement. Longtemps après que Pascal et Giordano Bruno eurent pressenti l’infinité des mondes qui nous environnaient, et peu après que Darwin eut commencé à nous révéler l’histoire antédiluvienne où notre propre espèce plongeait ses racines, ces peintures venaient moins éclairer l’insondable abîme de temps où s’inscrivait leur genèse, qu’interposer entre lui et nous le socle rassurant d’une apparition à laquelle nous donnions nos propres traits. Même lointaine et comme tout juste débourbée de la terre, la naissance de cet homme primitif jetait une nappe pudique d’humanité au-dessus d’un immense ossuaire d’espèces fossiles. Et ce n’était pas n’importe quelle naissance, puisqu’il s’agissait, avec l’art, de l’émergence de notre intelligence sensible la plus chargée de prestige, celle où nous pouvions distinguer sans effroi notre propre visage émergeant des ténèbres. […]

1. Georges Bataille, La Naissance de l’art, Skira, 1955.
 
 
Renaud Ego, « La naissance de l’art » in Le Geste du regard, L’Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2017, pp. 15-16-17.
 
Pezzo tratto da  http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2017/09/renaud-ego-la-naissance-de-lart.html

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